L’Inhibition, source de régression ou de progression ?
L’inhibition a mauvaise réputation : Plusieurs types d’inhibitions reflètent des troubles psychologiques plus ou moins lourds. Coté entreprises l’inhibition a la réputation de brider la créativité.
La réalité cérébrale, telle que nous la connaissons désormais, est pourtant celle d’une fonction indispensable, et le plus précocement possible. Ceux qui ne parviennent pas à inhiber certains circuits émotionnels en particulier, connaîtront plus de difficultés, dans leur vie professionnelle comme dans leur vie personnelle. Plusieurs études ont récemment confirmé cela.
Commençons par la plus célèbre, dont les résultats sont désormais bien connus. Elle a été conduite à partir de 1972 par le psychologue Walter Mischel de l’université Stanford sur 400 sujets, et renouvelée plusieurs fois. Tout récemment encore l’Université de Pennsylvannie a suivi 1000 enfants pendant plus de trois décennies, depuis leur naissance jusqu’à l’âge de 32 ans, pour étudier leur trajectoire de vie. : des enfants sont invités à s’asseoir devant un délicieux marshmallow.
L’expérimentateur leur dit simplement :” Je vais te laisser seul et revenir dans 15 minutes. Si à mon retour, tu n’as pas mangé le marshmallow, je t’en donnerai un second et tu pourras alors manger les deux. Si tu as mangé le marshmallow, nous en resterons là.”
Ci-contre en images un rapide échantillon des stratégies incroyables ou adorables adoptées par les enfants
qui ont été dès lors classés en 2 groupes : ceux qui avaient résisté à la tentation pour une récompense ultérieure et ceux qui avec succombé à la sensation immédiate, quitte à ce qu’elle soit moindre au final. Une trentaine d’année plus tard, les résultats parlent d’eux-mêmes : Le groupe qui a pu résister à la tentation pour doubler la mise connait 3 fois moins d’addictions, 3 fois moins de casiers judiciaires remplis, au moins 2 fois moins de problèmes de santé, et a de bien meilleurs revenus.
L’inhibition a probablement du bon pour le développement comme le pensent depuis quelques temps maintenant les psychologues: un jeune enfant qui l’on fait choisir entre une rangée plus longue de bonbons plus espacés et une rangée plus courte avec moins de bonbons va dans son plus jeune âge choisir la rangée la plus longue. Lorsque l’enfant aura suffisamment de maturité, vers 6-7 ans, il inhibera le schéma ”plus long = plus de bonbons” au profit du schéma ”c’est le nombre de bonbons et non la longueur qui compte”, pour choisir la plus courte.
D’ailleurs, dans certaines écoles aujourd’hui, on apprend aux jeunes enfants à inhiber leur parole pour savoir écouter. Un exercice parmi d’autres : les enfants doivent à tour de rôle inhiber leur besoin de parler pour écouter l’autre, en fonction des logos qui leur sont présentés (cf ci-contre à gauche).
A l’autre bout de la vie, plusieurs études récentes suggèrent qu’un déclin au niveau des processus inhibiteurs pourrait jouer un grand rôle dans les modifications cognitives associées au vieillissement normal, mais aussi dans celles qui sont observées lors des stades précoces de la maladie d’Alzheimer.
Poursuivons dans le domaine de la créativité. Contrairement à ce que l’on peut croire, pour être super créatif, il faut savoir inhiber. Par exemple, pour pouvoir imaginer le plus de solutions possibles à un problème donné, il faut savoir inhiber les solutions ”classiques” qui viennent en permanence à l’esprit, les mettre de coté, afin que puissent émerger les solutions nouvelles de nature totalement différente. Nous évoquerons le Déficit d’Inhibition Latente et sa relation possible avec la créativité dans un autre post.
Conclusion : L’inhibition est meilleure conseillère que ce que l’on imagine habituellement. Il ne s’agit pas bien entendu pas de se brider, mais bien au contraire, de développer la maîtrise de soi, la gestion de ses émotions, ou encore l’identification de ses schémas routiniers de pensée et de ses automatismes. L’imagerie cérébrale a permis de repérer un réseau de neurones qui confère, à partir de ce que l’on a appelé l’âge de raison chez les enfants, une capacité nouvelle fondamentale pour notre développement : celle d’inhiber nos automatismes.
Références :
”Le raisonnement” PUF, “Que sais-je ?”, 2014, par Olivier Houdé, lauréat de l’Académie des Sciences
”L’intelligence se construit par l’inhibition” par Olivier Houdé dans mensuel ”La Recherche” n°457
“Deficits in inhibitory processes in normal aging and patients with Alzheimer’s disease : a review” – Psychology NeuroPsychiatry, vol. 5, n° 4, décembre 2007