Nous ne pouvons prendre des décisions totalement rationnelles

Descartes occupe une place primordiale au panthéon du siècle des lumières. Aussi Antonio Damasio a-t-il fait preuve d'une certaine audace en publiant "L'erreur de Descartes". Dans ce livre, qui fit du bruit avant de faire date dans le monde neuroscientifique, iI démontre combien est important dans la prise de décisions le rôle des émotions, même lorsque ces décisions paraissent 100% rationnelles. Sa thèse s'appuyait au départ sur deux cas :

Le premier est celui de Phinéas Gage dont une barre à mine traversa le cerveau de part en part lors d'un accident (reconstitution ci-contre). Non seulement il survécut mais, en arrivant chez le médecin, il lui annonça : "Docteur vous allez avoir du travail !". Ce terrible accident n'eut aucune conséquence physique. Il n'eut apparemment pas non plus de conséquence intellectuelle. Mais avec le temps, son entourage se rendit compte que Phinéas Gage avait complètement changé de comportement. D'ouvrier modèle qu'il était, il devint grossier et son attitude le conduisit à mener une vie chaotique. Son système émotionnel ne fonctionnait plus c'est pourquoi ses décisions ne pouvaient plus être pertinentes.

Le second cas est celui d'un des patients d' Antonio Damasio. Une opération chirurgicale nécessaire avait dû supprimer la zone des émotions. Son intelligence était restée totalement intacte, son QI n'avait pas bronché, et pourtant sa vie se mit à se dégrader rapidement. Il perdit son emploi, son épouse et beaucoup d'autres aspects de son existence se mirent à dysfonctionner. Damasio lui permit de se défendre devant les tribunaux en démontrant que le comportement qu'on lui reprochait provenait de la disparition de son cerveau émotionnel.
Depuis la parution de ce livre, de nombreuses études sont venues corroborer cette approche. Les émotions ont pris, même au pays de Descartes et du cartésianisme, leur place à côté du rationnel pour tout ce qui guide nos choix, en particulier les plus complexes.

Monsieur + : Comment les émotions nous guident-elles, même à
l'insu de notre plein gré?

A.Damasio a réalisé une expérience avec des jeux de cartes disposés en 4 tas. Des volontaires peuvent tirer chacun à leur tour une carte du tas de leur choix. Avec les 2 premiers tas, certaines cartes leur permettent de recevoir 100 €, avec les 2 derniers, c'est 50 €.

Les 2 premiers tas paraissent les plus intéressants. Mais le jeu est en fait plus complexe qu'il n'y parait puisque certaines cartes font perdre de l'argent avec un décalage temporel ne permettant pas d'établir des liens. Ainsi la règle implicite ne peut être détectable consciemment.
Le comportement des volontaires face à ce jeu est étonnant car, en fait, ils choisissent les bons tas malgré tout mais ils ne savent expliquer pourquoi. Damasio s'est aperçu que les cobayes percevaient la règle cachée en mesurant sur le dos de leurs mains le signal électrique traduisant leur émotion.

L'émotion guide en fait leur choix en leur indiquant inconsciemment de ne pas choisir un tas avant même que la main ne se tende vers un tas défavorable. Le cerveau se souvient des émotions négatives perçues lors des gestes précédents.
Les personnes dont la zone corticale en contact avec les émotions est endommagée ne parviennent pas à développer la bonne stratégie inconsciente. Très clairement les émotions nous guident dans les choix complexes difficiles à maîtriser par le rationnel.