Où les souvenirs se logent-ils ?

Les savants ont longtemps supposé que, comme dans un ordinateur, le souvenir se logeait à un endroit précis. Bien évidemment, le candidat idéal était le neurone. Ainsi l'image de votre grand-mère était censée se loger dans un neurone particulier. Celui de votre belle-mère dans un autre. Cette théorie du neurone dit 'de la grand-mère' est aujourd'hui abandonnée pour une approche, un peu plus complexe, hélas pour nos autres neurones, mais dont les principes demeurent simples.

Une fois passé par la mémoire sensorielle, puis par la mémoire à court terme, le souvenir non implicite va devoir passer en mémoire à long terme s'il tient à persister. Pour l'aider, un tout petit organe, appelé l'hippocampe pour sa ressemblance (toute relative) avec le sympathique cheval marin, va jouer le rôle de gare de triage avec ses aiguillages.

	L'élément qui y parvient va être décomposé puis dispatché dans toutes les zones correspondantes du cortex. Les images vont passer à l'arrière du cerveau, dans la zone visuelle. La partie sonore du souvenir va passer en zone médiane..etc... Lors du rappel du souvenir, les fils seront tirés pour reconstituer le souvenir dans sa globalité.

L'hippocampe constitue la plaque tournante lors de la constitution du souvenir. Pour cela, il se synchronise avec les zones situées dans le cortex.

Monsieur + : Comment s'effectue le transfert depuis l'hippocampe
vers le cortex ?

	Ce transfert a lieu en particulier pendant le sommeil : nous ne répèterons jamais assez son importance, alors que dans nos vies débordées, nous avons l'impression qu'il constitue une perte de temps. L'hippocampe émet un train d'ondes à 200 Hz soit 200 fois par seconde vers les zones corticales dans lesquelles sera stocké le souvenir.

Tout se passe comme si le souvenir était un livre et que l'on en classait les feuilles détachées une à une dans une bibliothèque, dans des dossiers thématiques. Pour le rappel, c'est l'inverse : le livre est reconstitué à partir de chaque feuille récupérée dans chaque dossier.

De ce mode de fonctionnement, nous pouvons déduire deux principes importants de la mémoire que nous utiliserons par la suite :

- Plus nous avons de pages dans notre livre souvenir, moins le fait qu'il en manque quelques-unes s'avère pénalisant. Pour retrouver un souvenir, mieux vaut avoir le maximum d'éléments, mieux vaut que le livre soit complet. Mais s'il manque quelques détails, nous pouvons tout de même le faire remonter en surface. Ainsi par exemple pouvons-nous reconstituer le visage d'une personne à partir simplement de la moitié : tout le monde a reconnu Johnny ci-contre.
Notre mémoire ne sature pas comme celle d'un ordinateur. Surtout n'ayons pas peur de la nourrir de liens, d'associations. Plus nous tissons de fils autour d'un souvenir, plus nous classons de pages dans la bibliothèque, plus nous aurons de facilité à le retrouver.

- Lorsque nous ramenons un souvenir à la surface, lorsque nous reconstituons le livre, nous pouvons rajouter des pages qui ne lui appartenaient pas au départ provenant d'autres livres. Ainsi se bâtissent les faux souvenirs ! Il est en effet maintenant acquis que le souvenir devient fragile lors du rappel - en particulier grâce aux travaux d'Elizabeth Loftus -. Aussi étonnant que cela puisse paraître, le souvenir peut très facilement être modifié lorsqu'il est remonté à la surface consciente, autrement dit chaque fois qu'il est rappelé, chaque fois que nous y pensons.

Monsieur + : vous explique comment modifier un souvenir

Vous montrez à un large public une vidéo d'une scène d'accident léger entre un cycliste et une automobile. La conductrice est une dame blonde; il n'y a rien contre les dames blondes, c'est l'expérience qui a été réalisée comme cela. Puis vous faites revenir les personnes le lendemain et leur posez des tas de questions dont plusieurs sur la conductrice brune qui a renversé le cycliste.
Une semaine après, vous leur faites décrire l'accident. Plus de 30% vont alors évoquer une conductrice brune !
Un exemple amusant illustrant jusqu'où notre mémoire peut nous tromper :
Une pub montrant Bugs Bunny serrant la main d'un enfant dans un parc d'attraction a été présentée à des étudiants. Ils avaient tous visité Disneyland dans leur plus tendre jeunesse. Un questionnaire sollicitait ensuite des informations sur leur enfance et, de manière anodine, certaines questions portaient sur leur visite à Disneyland : à la question ''avez-vous rencontré et serré la main de Bugs Bunny ? '' 35% ont répondu ''Oui''… alors que ce dernier n'a jamais vécu à Disneyland puisqu'il est né chez le concurrent, la Warner Bros.

Monsieur + vient de décrire quelques expériences parmi d'autres menées en particulier par Elizabeth Loftus pour cerner la vulnérabilité des souvenirs pendant leur rappel. Aux USA la justice a déjà été impactée par ses travaux et des procès ont été bouleversés par ces apports tout récents.
Maintenant que la science a pris conscience de ces phénomènes, aucune photo de suspect ne devrait plus être montrée à une victime avant une confrontation.

Supposons, et c'est souvent le cas, que la victime d'une agression tombe dans un journal sur la photo d'un suspect en garde à vue. S'il y a confrontation, il est tout à fait possible, comme cela a déjà été le cas, que la victime associe inconsciemment, donc en toute bonne foi, la photo du journal à son agresseur. En effet, elle a nécessairement remonté à la surface le souvenir de la scène de l'agression à l'occasion de la découverte de la photo. A ce moment précis, le souvenir est redevenu fragile et toute association nouvelle redevient possible, en particulier celle reliant le visage du suspect à celui de son agresseur.

Nous vous proposons un rapide test amusant à réaliser entre amis ou en famille sur la fiabilité de la mémoire :
Enumérez à vos amis la liste suivante :

beurre - nourriture - manger - sandwich - seigle - confiture - lait - farine - gelée - pâte - croûte - morceau - vin - miche - toast

Attendez ensuite un petit moment avant de leur demander si vous avez cité les mots seigle, toast, pain. Beaucoup penseront alors avoir entendu le mot pain, à tort. Pourquoi ?
Parce que dans le cerveau, le lien peut se faire par le sens. Or la plupart des mots cités rappellent plus ou moins le pain.