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Les écarts

Pourquoi Encore des histoires de décalage !



Pour tous nos sens, toutes nos perceptions, nous venons de voir que notre cerveau fonctionne par comparaison. Il agit de même dans bien d'autres domaines encore, dont certains peuvent s'avérer inattendus.


Commençons par le propre de l'homme, encore que la photo ci-contre puisse en faire douter, le rire :
Qu'est-ce qui provoque le rire ? Tout simplement le décalage entre la situation attendue, prévisible et la situation avérée (chute d'une blague, calembour…). Plus l'écart s'avère important, plus le rire devient intense.

Ce que Itzak Fried de l'Université de Los Angeles a effectivement démontré. Il s'est effet aperçu que lors de l'écoute d'une blague, le cerveau essaie de deviner la fin instinctivement. Ceci déclenche une activité électrique positive sur l'ensemble de la surface du cerveau. Puis à la chute, le cerveau doit changer de point de vue et l'activité électrique s'inverse. Elle devient négative ce qui déclenche le rire provenant de l'écart.
Tout cette activité se déroule principalement dans le lobe frontal droit. Les personnes qui ont subi une lésion de cette partie ne déclenchent jamais de rire. Puis le lobe frontal droit déclenche l'aire motrice supplémentaire qui va assurer toute la mécanique physique du rire en particulier les contractions. Les auteurs de théâtre n'ont d'ailleurs pas attendu nos chercheurs contemporains pour inventer la tragi-comédie qui alterne comique et tragique telle la première version du Cid. Ils ont fort bien compris que plus le décalage allait être important, plus le rire allait l'être. Reste à composer ensuite avec le sens de la moralité de nos sociétés occidentales mais ceci est un autre sujet.

                 Monsieur + : Le rire de ceux qui ne ressentent pas la douleur


Les rares personnes insensibles à la douleur se mettent à rire lorsqu'on les approche agressivement avec un marteau ou une aiguille. C'était le cas de Alain Bastien, qui suite à un accident de moto, ne ressentait plus aucune douleur.
Ce rire, comme les autres rires est dû à un décalage : il se situe entre la menace que le sujet perçoit de manière consciente et cognitive de l'objet qui devrait lui faire mal, et la conséquence douloureuse attendue dont il sait qu'il sera épargné.
Monsieur + vous en dit plus sur ce cas

Autre domaine, mais dont nous avons déjà parlé, la mémoire, avec la disruption. Ce néologisme issu du monde de la pub est basé sur l'écart, le décalage, l'inattendu.


Plus nous voyons ou réalisons un acte décalé, mieux nous allons nous en souvenir. A tel point que cette méthode commence à être employée le plus sérieusement du monde pour aider les seniors qui ont du mal à se rappeler s'ils ont pris ou non un médicament.

Ainsi, lorsqu'ils prennent leurs gélules, ils se grattent le sommet du crâne, si possible même à la façon d'un singe. De la sorte, ils se souviendront beaucoup mieux de cet acte loufoque que de celui qui consiste à absorber un médicament. La plupart des procédés mnémotechniques peuvent être rendus plus efficaces grâce à ce phénomène de décalage ou disruption; nous y reviendrons dans la partie sur la mémoire.

Pourquoi le passage à l'Euro a-t-il semblé relativement facile dans un premier temps, alors que nous n'avons pu pendant longtemps faire autrement que de penser en francs ? …et certains continuent d'ailleurs toujours !
Le 1er janvier 2001, nous avons été plus de 300 millions d'Européens à changer de monnaie. Malgré l'appréhension, le passage à l'Euro s'est beaucoup mieux passé que prévu le jour J. Les chiffres et le mode de comptage étant les mêmes, seule la forme des pièces et des billets a été modifiée. Pour payer par exemple un ticket à 1,50 €, il suffisait de décompter les pièces puisque le nouveau prix avait été calculé pour affichage. La seule difficulté le premier jour consistait donc à reconnaître ces pièces, notamment par la tranche, dans le fond peu éclairé du porte-monnaie.

Mais la seconde étape consistait à pouvoir juger si le prix affiché en Euros était intéressant ou pas, s'il allait nous décider à acheter ou pas. Et cette phase a demandé beaucoup plus de temps, car notre cerveau avait besoin de se rebâtir de nouveaux repères en Euros.
Le jour où nous intégrons véritablement la nouvelle monnaie est celui où nous n'avons plus besoin de faire la conversion en francs pour évaluer si le prix est correct.


Car notre cerveau étant relatif, il a besoin d'une échelle de comparaison, et même de plusieurs. En fait, il a probablement besoin d'une échelle repère pour chaque nature de prestation :

- une ou plusieurs échelles pour les produits de consommation courante – notre cerveau savait qu'un café à 5 francs n'était pas cher. Il a mis du temps à mesurer qu'un café à 1,50 € constituait presque un abus.

- une échelle pour les salaires : notre cerveau a assimilé désormais notre salaire et celui de quelques collègues en Euros comme référence; ou bien par exemple il a appris que le SMIC en brut ne se situe plus autour de 7000 francs mais de 1100 € (en 2001).

- une échelle pour l'immobilier…Un prix de 3500 €/m² ne disait rien à notre cerveau en 2001. Aujourd'hui, ceux qui ont eu un lien avec l'immobilier depuis savent évaluer sans passer par les francs si ce prix est correct par rapport à la ville ou l'arrondissement concernés.

De nombreux commerçants ont d'ailleurs pressenti que cette échelle mettrait du temps à pénétrer un cerveau qui ne sait pas fonctionner dans l'absolu…d'où la hausse des prix en 2001.

Autre domaine pour lequel nous avons tous pris conscience du fonctionnement relatif du cerveau :
l'estimation des durées ou du temps qui passe. Qui n'a pas constaté, qu'une année passe beaucoup plus vite à 40, 60, 80 ans qu'à 10 ou 20 ans ? Constat parfois douloureux dû tout simplement encore une fois à notre fonctionnement cérébral.


Pour comprendre ce phénomène, observons ce qui se passe lorsque nous devons comparer des poids. Si nous avons les yeux bandés, nous parvenons sans difficulté à distinguer un poids de 100 g d'un poids de 200 g. La différence, 100 g est significative par rapport au poids à reconnaître, 200 g. La différence relative est en effet de 100g / 200g = 0.5. En revanche, si nous devons toujours les yeux bandés, distinguer un poids de 10 kg d'un poids de 10 kg et 100 g, nous n'y parviendrons pas.

La différence relative est très faible (100 g / 10 000 g = 0,01) Les chercheurs ont montré que pour parvenir à faire la distinction, notre cerveau a besoin d'un écart relatif de 0,025 pour les poids, autrement dit 2,5%.
Revenons à notre perception du temps, car le principe en est similaire :


A 10 ans, une année représente un dixième de l'existence soit 10% de notre vie.
A 50 ans, une année représente un cinquantième de l'existence soit 2% seulement.
Le poids relatif d'une année est beaucoup plus faible à 50 ans qu'à 10ans.

C'est la principale explication de l'effet d'accélération du temps que nous expérimentons tous au fil des années.

                        Monsieur + : Tout est dans la différence relative !
   

Ce n'est pas Einstein qui l'a dit mais Ernst Heinrich Weber (image de gauche), un physiologiste qui l'a précédé. Ce dernier a en effet mis en évidence dès la seconde moitié du XIXème siècle le fait que nous sommes sensibles aux différences relatives et non absolues. Nous venons de le voir pour les poids et le temps, mais ce principe demeure également valable pour toutes nos perceptions, tous nos sens.

Pour les goûts comme le salé et le sucré, pour la sensibilité de la vue, de l'ouïe…etc, nous ne parvenons à établir les distinctions qu'à partir d'un écart relatif suffisant. Ce qui signifie que cette caractéristique provient non pas de la totalité de nos capteurs sensoriels, mais de leur unité centrale, à savoir notre cerveau. Pour lui la différence entre 2 valeurs V1 et V2 ne se traduit pas par V2 - V1 , mais par la différence relative soit V2 - V1 / V1 .

                       Super Monsieur + : Le rapport de Weber

Si le principe de la relativité de la différence est général pour tous nos sens puisque lié à notre fonctionnement cérébral, les seuils relatifs de différenciation varient. Nous venons de voir que le seuil de différence relative permettant de distinguer deux poids est de 2,5%. Pour le goût salé, les scientifiques ont pu l'évaluer à 15%, pour le sucré à 20%, et à 21% pour l'acidité.
Cette différence relative à laquelle réagit notre cerveau est appelée 'rapport de Weber' du nom du physiologiste (1795 – 1878) en portrait ci-dessus qui l'a découvert. Il peut se définir par la formule :
rapport de Weber = Ecart entre 2 valeurs / Valeur de départ .
Si l'on applique ce rapport au bonheur comme ci-après, il apparaît une forme de justice sociale naturelle. En effet pour des personnes ne possédant pas grand chose, le dénominateur du rapport de Weber va être faible alors qu'il sera important pour un milliardaire. Ainsi pour un même gain, 1000 € par exemple, l'effet sera divisé par 1 milliard pour le second, mais par presque rien pour le premier, ce qui donnera au final une valeur énorme.
Ce que les français ont bien connu pendant la guerre lorsque la vue d'un topinambour ou d'une patate dans l'assiette déclenchait une joie intense parce qu'il n'y avait rien à se mettre sous la dent ; autrement dit, le dénominateur du rapport de Weber était tout petit. Mettez aujourd'hui un topinambour dans l'assiette de vos enfants, eux qui n'ont jamais connu de dénominateur aussi faible, vous verrez la réaction ! Ils possèdent eux un dénominateur de rapport de Weber surdimensionné issu de la société de consommation, non atteint encore dans l'histoire de l'humanité.
Cf Alain Lieury – 100 petites expériences de psychologie - Editions Dunod – p 142


Résumons avec un exemple important s'il en est : le bonheur.
Pourquoi les princesses sont si souvent malheureuses alors que le gamin qui joue avec une boite de conserve dans le caniveau ne se plaint pas de son sort ?

1ère clé – La comparaison : Si nous ne sommes pas satisfaits, c'est d'abord parce que nous ne considérons que rarement notre situation personnelle dans l'absolu, isolée du reste du monde. Nous ne sommes contents de notre sort que dans la mesure où nous estimons notre situation favorable ou équitable par rapport à notre voisin, notre collègue de travail, nos parents, nos coreligionnaires, nos concitoyens…
Exemple classique: vous êtes embauché en CDI dans une grande entreprise avec le salaire que vous espériez. Vous êtes heureux de ce dénouement après plusieurs mois de recherche d'emploi. Au bout de quelques jours dans la société, vous apprenez que, 2 mois auparavant, a été embauché un salarié qui possède le même diplôme que vous et 5 ans de moins d'expérience, le tout pour un salaire supérieur de 15%. Cerise sur le gâteau, son bureau est plus spacieux et il a obtenu en prime une voiture de service. Etonnant ! Tout d'un coup, vous vous trouvez beaucoup moins heureux de votre sort. Ce n'est plus votre situation dans l'absolu qui compte mais la comparaison avec l'autre salarié qui va primer. Le sentiment d'injustice, qui fonctionne par comparaison, va prendre le pas sur tout le reste.

2ème clé – L'écart relatif : Un milliardaire, s'il gagne 10 000 € n'aura aucune sensation. Il lui faudra gagner un million d'euros pour commencer à se sentir concerné, voire content. Un employé qui, lui, gagne 20 000 € par an va sauter de joie un long moment s'il gagne au casino 10 000 €. Et il va probablement mettre plusieurs jours à s'en remettre !
Pourquoi deux réactions opposées pour une même somme gagnée ?


D'un côté, le milliardaire percevra une différence relative de 10 000 / 1 milliard, soit un 0,00001. Totalement négligeable ! De l'autre, l'employé percevra une différence relative de 10 000 / 20 000 soit 0,5, la moitié de son salaire annuel. Bien plus significatif et largement au-delà du seuil de sensibilité ! Ainsi, une prime de 1 000 € attribuée à l'ensemble des salariés par le chef d'entreprise n'aura pas du tout la même incidence sur la motivation des cadres que sur celle des employés.


Ce brillant comparateur permanent que constitue notre cerveau ne saura donc jamais fonctionner sans références. Il ne peut s'empêcher d'aller regarder le gazon dans le jardin du voisin pour voir s'il est plus vert. Logique, puisqu'il ne peut évaluer la qualité du vert de son gazon s'il ne le compare pas.


En être conscient représente la meilleure piste pour que le cortex puisse construire une approche moins relative, qui lui appartienne plus en propre. Ne serait-ce point là le début de la sagesse?
Et si nous parvenions à gérer la fonction comparatrice du cerveau, cela n'ouvrirait-il pas la voie de la sérénité?

Pour conclure, retenons que :

1- Notre cerveau est sensible essentiellement aux écarts, aux différences. Des repères lui sont toujours indispensables.

2- Notre cerveau est sensible aux écarts RELATIFS : plus la valeur est grande, plus la différence devra être grande pour qu'il la perçoive.

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